Il existe différents types d’ouvrages de défense, répondant chacun à des problématiques particulières du milieu littoral. Cependant, ceux-ci peuvent engendrer d’autres conséquences impactant les dynamiques sédimentaires ayant lieu dans l’environnement côtier.
Le littoral de La Réunion est concerné par deux types d’ouvrages. Des ouvrages « durs » perpendiculaires à la plage, principalement situés au niveau des zones portuaires et des ouvrages de fond de parcelles de particuliers situés en haut de plage, qui seront traités dans une autre partie de ce guide.
Les ouvrages perpendiculaires à la côte, généralement appelés « épis » ont pour principale fonction de réduire, voire d’interrompre le transit sédimentaire ayant lieu parallèlement à la côte, aussi appelé dérive littorale (Bougis, 2000).
L’interruption du transit sédimentaire a pour principale conséquence une accumulation importante de sédiment au niveau de l’ouvrage, en amont de la dérive littorale et une érosion marquée en aval (illustration 1). C’est pour cela qu’il est important que l’épi ne bloque pas complètement le transit sédimentaire sous peine de générer une érosion accrue de l’autre côté de l’épi. Ces ouvrages sont installés sur les plages où dominent des transits sédimentaires parallèles à la côte.
Illustration 1: Schéma du principe de fonctionnement d'un épi (Balouin et al., 2012)
Généralement, il en résulte l’implantation de nouveaux ouvrages similaires afin de remédier aux effets de l’ouvrage précédent, ce qui entraine une artificialisation progressive du littoral (illustration 2).
Illustration 2 : Exemple d’implantation d’épi sur le littoral de la côte est de la Corse (Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres)
Les ouvrages parallèles de bas de plage, dénommés brise-lames, ont généralement pour objectif, d’une part, de réduire l’énergie apportée à la côte lors du déferlement des vagues et d’autre part, de s’opposer aux courants perpendiculaires à la ligne de rivage et donc aussi aux transferts sédimentaires le long du profil de plage (illustration 3) (Bougis, 2000). Les brise-lames ne sont pas adaptés aux secteurs où le transit parallèle à la plage domine (Balouin et al., 2012).
Conçus pour atténuer l’énergie des vagues à la côte lors de leur déferlement, ces ouvrages sont construits au large, au niveau de la zone d’avant-plage.
Illustration 3: Schéma du principe de fonctionnement d'un brise-lame (Balouin et al., 2012)
En prenant l’exemple du littoral du Languedoc-Roussillon (illustration 4), la diminution de l’énergie des vagues entraîne une sédimentation et aura tendance à créer une avancée du trait de côte au droit de l’ouvrage mais une érosion plus importante entre deux ouvrages. Ceci pouvant aboutir à la formation d’un tombolo si l’ouvrage est suffisamment proche de la ligne de rivage.
Illustration 4: Effet des brises-lames sur le littoral du Languedoc-Roussillon.
Le haut de plage est naturellement érodé lors des évènements tempétueux et se restaure progressivement grâce à l’apport de sédiments et l’absence de phases érosives lors des périodes de beaux temps.
Les ouvrages de haut de plage disposés parallèlement au rivage constituent une barrière entre terre et mer. Ils sont utilisés pour fixer la ligne de haut de plage et protéger l’arrière plage des actions de la mer (Bougis, 2000).
La réflexion de la houle sur ces ouvrages lors des évènements plus énergétiques, va intensifier l’action des courants et le niveau d’agitation à la base de ces ouvrages, entrainant une augmentation de la capacité de la mer à mobiliser les sédiments et à les transporter au large. La perte de ces sédiments engendre un phénomène d’affouillement à la base de l’ouvrage et un abaissement progressif de la plage (illustration 5).
Illustration 5: Schéma de fonctionnement d’un ouvrage longitudinal. (Balouin et al., 2012)
L’ouvrage, ainsi affouillé, peut se déchausser et basculer dans la fosse creusée dans le sable, au pied de l’ouvrage, créant ainsi une ouverture vers l’arrière-plage (illustration 6).
Illustration 6 : A gauche, exemple d’affouillement en pied d’ouvrage suite à un évènement de houles australes à l’été 2020 (plage des Roches Noires) ; A droite, basculement d’un ouvrage suite à un évènement de houle australe en 2019 (plage des Roches Noires).
Dans le contexte de gestion du Domaine Publique Maritime, la DEAL a demandé au BRGM de réaliser une étude afin de caractériser l’impact des ouvrages côtiers de la côte ouest sur l’évolution morpho-dynamique du littoral réunionnais. La campagne IMOCOR lancé en 2014 par le BRGM a permis de recenser 435 ouvrages littoraux selon deux typologies, les aménagements portuaires et les ouvrages littoraux de taille plus modeste et d’évaluer leurs impacts morpho-dynamiques sur le littoral de la Réunion (Chateauminois et al., 2016).
Les résultats de cette étude ont montré que les ouvrages portuaires, principalement les ouvrages transversaux implantés sur le littoral, avaient un impact important sur les transits sédimentaires induits par la dérive littorale et étaient responsables de l’augmentation du phénomène d’érosion sur certains secteurs adjacents.
Au cours du XXème siècle, de nombreux aménagements portuaires ont eu lieu sur le littoral réunionnais, avec l’implantation de nombreuses digues et épis pour les protéger des actions de la mer. Ceci a engendré d’importantes modifications dans les dynamiques sédimentaires naturelles le long des côtes.
Illustration 7: Carte du port de Saint-Gilles en 2017 (orthophotographie), présentant les différentes dynamiques sédimentaires ayant lieu à proximité de cet ouvrage.
Depuis la création du port de Saint-Gilles (illustration 7) et de la construction d’un épi au niveau de la plage du Brisant, la dynamique sédimentaire a été fortement modifiée au sein de cette zone. Comme présenté précédemment, l’implantation d’un ouvrage transversal à la plage a provoqué l’interruption du transit sédimentaire. Ceci a entrainé une forte accumulation de sable en amont de la dérive littorale, au niveau de la plage des Brisants et une forte érosion en aval de la dérive, au niveau de la plage des Roches noires.
Ce phénomène peut être observé sur plusieurs sites portuaires ou secteurs sur le littoral réunionnais présentant des ouvrages transversaux à la ligne de rivage. Ces ouvrages entrainent les mêmes problématiques de blocage sédimentaires sur les secteurs en amont de la dérive et d’aggravation de l’érosion sur les secteurs en aval (illustration 8).
Illustration 8 : Carte des dynamiques sédimentaires ayant lieu au niveau : a) du port de Saint-Leu, b) du Port, c) de la digue du Butor et d) du port de Sainte-Marie (orthophotographie 2017).
Une étude menée en partenariat entre le BRGM et la DEAL est en cours afin d’évaluer les volumes sédimentaires accumulés sur certains de ces secteurs, principalement autour du port de Saint-Gilles-les-bains, de la digue du Butor à Saint-Benoît et du port de Sainte-Marie afin d’envisager la mise en place d’opérations de transferts sédimentaires afin de rétablir artificiellement la dérive littorale interrompue jusqu’alors.
Il existe une importante variabilité d’ouvrages de hauts de plage sur le littoral réunionnais mais ce sont en majeure partie des ouvrages de types murs, délimitant les parcelles de particuliers () et donc situés principalement dans la zone de swash (Zone B) et la zone dunaire (Zone C) du profil de plage. Aucun aménagement de type brise-lames n’est présent sur le littoral réunionnais.
Illustration 9 : A gauche, schéma représentant la nature des ouvrages littoraux transversaux (cross-shore) en pourcentage de linéaire sur le cordon littoral ; A droite, schéma représentant la nature des ouvrages littoraux longitudinaux (longshore) en pourcentage de linéaire sur le cordon littoral (Chateauminois et al., 2016).
La principale conséquence de la présence de ces ouvrages est l’interruption des transferts sédimentaires entre la dune et le haut de plage, la dune étant une réserve naturelle de sédiments. Ceci entraîne progressivement un abaissement et un recul de la plage soumis à l’action érosive des vagues pouvant amener à la disparition totale de la plage.
Sur la base de la campagne de recensement des ouvrages IMOCOR ayant eu lieu en 2014, le littoral réunionnais présente une grande variété de typologie d’ouvrages de type « murs ». Afin de faciliter leur catégorisation, les « murs » ont été réunis dans trois catégories générales qui ont été définies selon la morphologie et l’imperméabilité aux écoulements d’eau.
Ces ouvrages sont généralement constitués de pierres ou de parpaings maçonnés et présentent une forte imperméabilité aux écoulements et donc aux transferts sédimentaires entre la dune et le haut de plage. Cette catégorie « murs pleins » prend en compte tous les ouvrages uniformes de plus de 1 m de hauteur (illustration 10).
Illustration 10 : Photo de deux ouvrages de type mur (Campagne IMOCOR : respectivement SPA134 et SPA065)
Comme leur dénomination l’indique, ces ouvrages sont composés d’au moins deux parties suffisamment distinctes pour être différenciées. Principalement constitués d’un muret en pierres ou parpaings maconnés à la base, et surmontés soit d’une clôture en bois, soit d’un grillage, ils ont une imperméabilité faible à forte qui dépend de la hauteur du muret à la base et du type d’aménagement le surplombant (illustration 11).
Illustration 11 : Photo de deux ouvrages de type mur mixte (Campagne IMOCOR : respectivement SPA138 et SPA150)
L’imperméabilité de ce type d’ouvrage est souvent nulle ou faible. Les clôtures sont généralement en bois, constituées de planches verticales suffisamment espacées pour permettre les écoulements d’eau (illustration 12).
Illustration 12 : Photo de deux ouvrages de type clôtures et grillages (Campagne IMOCOR : respectivement SPA132 et SPA139)
Chacune de ces catégories d’ouvrages impact son environnement proche selon sa morphologie, sa constitution et sa localisation sur le profil de plage.
L’impact d’un ouvrage sur les dynamiques naturelles dépend de sa position sur le profil de plage et sera d’autant plus fort qu’il sera implanté proche du rivage. L’exemple de la plage de Saint-Pierre est une parfaite représentation des conséquences liées à la localisation d’un ouvrage imperméable trop proche du trait de côte (illustration 13).
Pasittoral
Illustration 13 :Evolution morphologique de la plage de Saint-Pierre entre 1950 et 2017, avec la localisation de l’ouvrage de type mur responsable de la disparition de la plage, ainsi que la passe littorale au large (Orthophotographies, IGN).
En 67 ans, la plage de Saint Pierre a connu un important remaniement sédimentaire. Alors qu’en 1950 la plage était rectiligne et de largeur égale et régulière, elle a connu, suite à l’installation de l’ouvrage, une érosion massive de la partie centrale amenant à sa disparition totale entre 1966 et 1978 (zone située dans le secteur de la gendarmerie).
Durant cette période, un mur imperméable a été construit sur le haut de plage afin de protéger un tronçon d’habitation existant. Depuis, et particulièrement au-devant de cet ouvrage, la partie centrale de la plage n’a jamais retrouvé son état d’origine (illustration 14).
Illustration 14 : Photo de l’ouvrage imperméable responsable de la disparition de la plage à Saint-Pierre (Campagne OBSCOT, 28 juillet 2020)
De plus, la présence d’une passe littorale en face de cet ouvrage, qui est une zone préférentielle pour le départ de sédiments vers le large, contribue à rendre ce secteur du littoral plus vulnérable à l’érosion et moins susceptible de retenir d’importante quantité de sédiments.
Cependant, la plage de Saint-Pierre située à l’est de cet ouvrage, dans le secteur de la Gendarmerie, présente une érosion progressive au fil des années (Belon R. et Moutoussamy L., 2019) mais la plage de ce secteur est toujours présente et active en 2020, et ce, malgré la présence d’un autre ouvrage imperméable en haut de plage (illustration 15). Ceci peut être expliqué par la localisation de l’ouvrage. Ce dernier ayant été construit une dizaine de mètres plus en retrait sur la plage que l’ouvrage voisin.
Illustration 15 : Photo de la plage de Saint-Pierre encore présente malgré la présence d’un ouvrage imperméable en haut de plage (Campagne OBSCOT, 28 juillet 2020).
Cependant, dans le cadre des observations menées dans le programme OBSCOT (Belon R. et Moutoussamy L., 2019), ce secteur semble toutefois avoir été impacté de manière irréversible suite aux houles australes de mai 2007 mettant en avant l’impact de l’ouvrage en conditions de forte houle (illustration 16).
Illustration 16 : Evolution topographique du profil de plage en face de la gendarmerie à Saint Pierre
Ce constat confirme l’effet néfaste et très localisé de la présence d’un ouvrage trop proche du rivage (en contact avec les lames d’eau générés par les vagues), et l’importance de la localisation le plus en retrait possible vers les terres d’un ouvrage, sur le profil de plage. Un ouvrage trop proche va à la fois entrainer une perte des sédiments pouvant aller jusqu’à la disparition de la plage et de ce fait augmenter la vulnérabilité de l’ouvrage et des enjeux situés en arrière.
Un autre aspect de l’impact des ouvrages littoraux concerne leur typologie et leur capacité à laisser passer les écoulements d’eau et les transferts sédimentaires en haut de plage.
Référence :
Durand G. et Belon R. (2021) – Guide des bonnes pratiques pour la gestion des ouvrages implantés sur le littoral de La Réunion. Rapport final. BRGM/RP-70651-FR, 63 p., 43 ill., 8 tabl.